Fin avril, j’étais engagée sur la Desertus Bikus, une épreuve consistant à traverser l’Espagne (de Bayonne à Malaga) en autonomie en moins de 7 jours. Chacun est libre de son parcours, il y a 6 points de contrôles obligatoires. C’était un sacré challenge pour moi :
- il sous-entend de savoir mapper,
- il faut obligatoirement traverser les Pyrénées et je suis une quiche dans les côtes,
- le centre de l’Espagne est désertique, ce qui complique les ravitaillements,
- il faut être équipé pour l’été comme pour l’hiver, car la météo dans les déserts n’est pas la même que dans les Pyrénées,
- je ne parle pas un mot d’espagnol.
Mais je n’étais pas au bout de mes surprises.
Episode 1 : le départ mouvementé pour Bayonne
J’ai prévu de me rendre à Bayonne par le train de nuit. Mon paquetage est sur le vélo fin prêt depuis quelques jours. Je pars de Bourg la Reine avec 2 heures d’avance pour la gare d’Austerlitz. À hauteur du boulevard Saint-Jacques, ma roue arrière se bloque, je ne peux plus avancer. Je soupçonne le frein à disque mais pas moyen de débloquer la clé, qui permet de dévisser la roue ; des jeunes s’arrêtent pour m’aider sans y arriver ; je décharge mon vélo (au cas où le blocage vienne du poids du chargement) et finalement je prends un démonte-pneu pour faire levier pour débloquer la clé. Ouf, j’arrive enfin à démonter la roue. Comme je le pensais, le ressort de la plaquette de frein s’est déformé et bloque la roue. J’essaie de le remettre en forme. Ça frotte mais ça roule et il me reste un quart d’heure avant le départ du train : j’abandonne ou je persévère ?
Rien n’est jamais perdu, je repars avec mon vélo qui ronronne, j’arrive à la gare pile à l’heure du départ du train. Et là, SURPRISE: 3 copines du CTVS venues m’encourager avec des panneaux et un délicieux flan. Pas le temps de parler avec elles qui m’attendent pourtant depuis 2 heures, le chef de gare m’ordonne de remonter sur mon vélo pour aller jusqu’à ma voiture (alors que c’est interdit) et embarquer au plus vite !


Je suis dans le train, je partage ma cabine avec d’autres participants de la DB dont Sybile que je suis sur Instagram. Installée sur ma couchette, les émotions se relâchent avec une petite larme de joie en pensant à mes exceptionnelles copines et en savourant leur flan ! Le lendemain, je trouve à Bayonne un vélociste qui change le ressort de la plaquette, me donne des conseils pour la DB qu’il a faite l’année précédente et m’offre un café.
Episode 2 : la Desertus Bikus
Le départ :
Le départ est à minuit dans la nuit du vendredi à samedi à Hasparren, mais il faut y être au moins 2 heures avant. J’y arrive vers 20h, l’attente est un peu longue dans ce gymnase ou certains essaient de dormir, une DJ est aux platines mais personne ne danse. 40% de femmes, ça change des autres épreuves longues distances. Je croise des têtes connues, Camille, Anais, Mauve…, fait la connaissance d’autres comme Yannick et Enora : les discussions portent souvent sur la route du départ : il y a 2 cols possibles ou la route de la côte, plus longue et très ventée.

Premier jour (245 km et 3566m de D+):
Le départ est enfin donné, je suis le conseil du vélociste et choisis le col d’Ibaneta qui passe par l’abbaye de Roncevaux, un col hors catégorie long (environ 15km) mais avec des inclinaisons raisonnables (6% de moyenne). Le paysage est certainement beau, mais il fait nuit, il fait froid, surtout dans la descente du col, il pleut, il grêle. Au petit matin, je rêve d’un bon et copieux petit-déjeuner au chaud : en vain, je me contenterai du fromage et des fruits secs que j’ai emporté. Dans la journée, le vent se lève, un bon gros vent de face. Le paysage est moins montagneux, mais on va enchainer les toboggans. La pluie se calme, il y a même parfois un rayon de soleil. Le temps passe et tous les restaurants sur mon parcours sont fermés. A Viana, une station-service est ouverte : il lui reste un sandwich triangle (les participants de la DB ont dû faire une razzia !), je n’arrive pas à traduire quel est son contenu : tant-pis, je prends, je croque, pouah, c’est infect, ça ressemble à de la salade de museau ! J’arriverai à en manger 2 bouchées et le reste passera à la poubelle. J’arrive à Logrono vers 16h, environ 200km de fait. A la sortie de la ville, je tourne en rond dans un parc puis je finis sur une piste de VTT bien hard : je devrai pousser ou porter mon vélo sur quelques kilomètres. Il faut vraiment que je progresse dans le mapping !
La nuit commence à tomber, je suis toujours en quête de restaurant, je m’arrête à Banos del rio Tobbias dans un bar avec de délicieux tapas : c’est très animé, nous sommes le samedi soir de Pâques, familles et amis sont réunis pour faire la fête. Moi, je suis frigorifiée et fatiguée : j’essaie de trouver un hôtel, mais tout est complet. Je continue et entame la côte suivante. Dans la nuit, j’ai du mal à lire mon GPS (il faudra que je règle cela !) et me perd de temps en temps.
J’arrive vers 11h dans le magnifique petit village de Pédroso, désert sous la pluie. J’aimerais bien pouvoir piquer un somme à l’abri dans l’église. Alors que 4 hommes passent dans la rue, je les aborde pour leur demander s’il y a un hôtel : je connais la réponse, c’est non, mais c’est pour introduire ma question suivante. Je leur demande si quelqu’un pourrait m’ouvrir l’église ou une salle municipale pour que je puisse y dormir avec mon duvet de montagne, expliquant que mon hôtel est 35km plus haut dans la montagne et que je suis fatiguée et frigorifiée (mais cela devait se voir !). Ils téléphonent dans les hôtels des villages environnants, mais tout est complet (je le savais déjà !). Un des hommes me propose de m’emmener au « fronton » : je pensais qu’il s’agissait d’un gymnase comme celui d’Hasparren, mais c’est juste un mur. Donc sans protection du froid et de la pluie. Je n’ai jamais testé mon bivy et je sais qu’on a beaucoup plus froid quand on s’arrête. Tant pis, je vais continuer.
L’homme me dit d’attendre, il téléphone à sa femme, je comprends qu’ils se disputent : Madame n’a pas envie qu’il ramène une étrangère à la maison au milieu de la nuit ! J’essaie donc de m’éclipser discrètement et poliment, mais il me rattrape et m’emmène chez lui. Il m’installe un matelas dans son salon, son épouse se lève, me prépare une tisane, du fromage, des gâteaux, me prête son pyjama en polaire, met mes vêtements mouillés au sèche-linge. Leur nièce, collégienne qui parle 3 mots de français, vient me voir avec une copine. Le lendemain, comme je voulais partir tôt, il se lève à 6h, me ramène mes vêtements secs. Avec Mercedes et Paco, nous ne parlions pas la même langue, mais nous nous sommes compris ; J’ai compris leur humanité, ils ont compris ma gratitude !

Deuxième jour (191 km et 2114 de D+) :
Je pars finalement à 6h40, le temps de faire mon paquetage et de dire au revoir à Paco. J’entame une nouvelle ascension, mais qui, reposée, me parait plus facile, le jour se lève assez vite, nous sommes dans un beau paysage de moyenne montagne. Deux heures et demi plus tard, j’atteins l’hôtel dans lequel je devais dormir et en profite pour prendre un bon petit déjeuner, la salle de restaurant est remplie de participants à la DB.




Je repars sur une belle petite route qui monte avant d’arriver à un lac (à Mansilla de la Sierra) que je dois contourner sur une route mal goudronnée. Les bas cotés sont remplis de neige, je passe à coté d’une station de ski, il fait de plus en plus froid, mais suivront quelques heures très agréables, faciles à pédaler dans un paysage de montagne beau et calme avant de redescendre au premier contrôle.
Celui-ci est à Sad Hill, un cimetière bizarre, celui du film « le bon, la brute et le truand », après quelques kilomètres de gravel. En bas de la colline je trouve un restaurant ouvert, il doit être 14h, j’ai faim, mais je n’arrive pas à manger beaucoup. J’y retrouve Sybile et ses copains, dont c’est la dernière étape car ils rejoignent Madrid[OL1] . Je repars avec eux sur quelques kilomètres.; j’aurai bien voulu trouver des cafés ou pâtisseries ouverts, mais en ce dimanche de Pâques, tout est fermé. L’après-midi est bien agréable, bien ensoleillé avant une averse en soirée.
J’arrive à Ucero, village touristique ( ie avec des restaurants !) vers 19h, mais je dois faire un détour de 15km pour aller au CP1bis (contrôle rajouté[OL2] , l’ermitage de San Bartolomé), la nuit est tombée. Après un long chemin, une barrière, je croise Enora et Yannick, qui m’indiquent que ça devient du gravel plus difficile, mais qu’on peut le faire à pied, ce n’est pas loin… oui et non, ça m’a pris 20 minutes pour faire 3 kilomètres. Je dîne rapidement à Ucero, mon hôtel est à 15km et la réception ferme à 22h. A Burgo de Osma, à 22h30 au premier carrefour, 2 hommes n’attendent plus que moi pour rentrer chez eux , ce sont les réceptionnistes de l’hôtel !!
Troisième jour (196km et 2367m de D+) :
Debout à 5h20, mais obligée d’attendre 6h l’ouverture d’un café pour prendre un bon petit déjeuner. Je partirai finalement à 6h50 pour une magnifique matinée de vélo. Les paysages sont à couper le souffle : la terre ocre avec des promontoires sur lesquels on aperçoit des châteaux, j’ai l’impression d’être dans un western. Ma chaine saute, et je dois desserrer mon système anti-saut de chaine (et oui, je ne savais même pas que j’avais ça sur mon vélo !) pour pouvoir remettre la chaine : c’est quand même un bel endroit pour un arrêt mécanique !

Je continue et retrouve Anaïs, nous nous amuserons sur une merveilleuse descente, à fond, facile et très belle : 4km autour de 50km/h, c’est magique !
Ça devient un peu moins beau et j’ai faim et soif. A l’entrée de Siguenza (km90), l’ami de Pauline, une participante, m’offre un coca bien frais et m’indique le centre-ville ou je trouverai un bon restaurant (délicieuses asperges, saumon et dessert).
L’après-midi est « chiant » : je traverse une réserve naturelle, le paysage est admirable 10 minutes, mais vite monotone tout en collines boisées de conifères, ça n’arrête pas de tourner, de monter, de descendre… je ne rencontre pas âme qui vive sur 60km. Enfin je retrouve une route plus grande, mais toujours pas de restaurant ouvert à la tombée de la nuit.
J’arriverai à Canamarès sans avoir trouvé à manger. J’ai réservé dans un genre d’airbnb : l’entrée est à peine indiquée, mais en bas de l’escalier, il y a six vélos garés. Je monte à l’accueil et demande s’il est possible de manger. Non, l’aubergiste ne prépare rien mais m’indique qu’il y a une cuisine à disposition et va chercher une clé magique : il ouvre une porte dérobée qui donne sur un supermarché fermé : je peux acheter de la charcuterie, des yaourts, du pain, des fruits !
Quatrième jour ( 154km et 1381m de D+) :
Je pars de Canamarès à 7h, je sais que cette étape sera plus facile, alors je prends mon temps ce matin. Une petite pluie le matin, je trouve un café après 35km, c’est le repère des commères du village, ça parle très, très fort. Je continue jusqu’à Almodovar del Pinar, ou je vois un troquet fermer sous mes yeux, je me rabats sur une station-service ou je partage des gâteaux avec une autre participante affamée. Je reprends la route jusqu’à Motilla del Palancar, ou je trouve un vrai restaurant avec nappe qui me sert une délicieuse soupe de lentilles à 3 heures de l’après-midi. Je reprends la route et me perd dans le dédale de la ville, mon GPS m’envoie sur un parcours que je ne veux pas prendre. Le paysage n’est pas folichon, des cultures variées, mais c’est plat, vent dans le dos et je n’ai plus que 75km et 100m de D+, je devrais arriver à l’hôtel à Albacete à 7 heures ce soir !
Episode 3 : l’hospital general
30km plus loin, j’ai soudain très mal au ventre. Heureusement je traverse un petit village, Quintanar del Rey : je m’arrête dans une pharmacie, pliée en deux : le médicament qu’elle me vend n’a pas d’effet, j’ai soif, la pharmacienne me donne une bouteille d’eau, j’espère qu’en dormant, ça ira mieux. Je repère sur internet une auberge à un km et demande à la pharmacie de téléphoner pour s’assurer qu’il y a de la place : je ne me sens pas capable de rouler pour rien. J’arrive à l’auberge. Une jeune femme, Isabelle, qui ne parle qu’espagnol, me demande ce que je veux :
- « me reposer et si ça ne va pas mieux appeler un médecin »,
- « ici, les médecins ne se déplacent pas, viens avec moi »,
Elle m’emmène au centre médical ou je passerai devant tout le monde ; le médecin après examen et après m’avoir donné une piqure d’anti-douleur, appelle une ambulance, une personne dans la salle d’attente parlant français aide à la traduction. Isabelle, qui m’avait attendue, me ramène au vélo ou je prends mes papiers et les chargeurs de téléphone, pendant que l’ambulance arrive. Sur le tracker de la DB, ma sœur pense que je roule bien à 45km/h !
L’ambulance m’emmène vite à l’Hospital général d’Albacete. Ma sœur et une copine du CTVS ne comprenne plus pourquoi je roule à 120km/h.
Aux urgences, les douleurs atroces reprennent, après une radio et une échographie, on pense qu’il s’agit d’une inflammation de la vésicule biliaire. Je suis hospitalisée, sédatée, mise sous antibiotique et finalement chouchoutée par le chef de service qui est le seul à parler un peu français et un peu anglais, s’étonne que je voyage seule, et surtout s’étonne du résultat de mes analyses. Il passe me voir de plus en plus souvent et décide de me faire passer un scanner en urgence à 11h du soir. On verra une perforation du duodenum avec septicémie, je suis opérée dans le quart d’heure !
Je passerai 15 jours à l’hôpital : je m’habituerai au rythme décalé des espagnols, aux familles bruyantes présentes toute la journée, à l’usage qui veut qu’un membre de la famille reste dormir dans le fauteuil au pied du lit, aux soirs de matchs de foot, au bruit toute la journée jusqu’à minuit (je reconnais honteusement que dès que j’ai pu me lever, j’ai caché la télécommande du téléviseur de la chambre commune à 3 personnes dans le tiroir de ma table nuit).
Je ne vous raconterai pas plus le détail de cette aventure, l’effet des calmants à haute dose ou le black-out électrique pendant lequel mon fils a déambulé dans Madrid alors qu’il essayait de me rejoindre, car cela n’a plus grand-chose à voir avec le vélo.
Mais de cette dernière aventure, je garderai en mémoire l’humanité des personnes que j’ai rencontrées et en particulier Isabelle et le professeur Cascales qui m’ont sauvé la vie et la confirmation que le voyage à vélo permet de rencontrer des personnes extraordinaires.
Pour la fin de la DB, ce n’est pas moi qui vous la raconterai, car je ne suis pas inscrite pour l’édition 2026, qui, parait-il, sera la dernière.